La réponse aujourd’hui de la Cour Européenne des Droits de l’Homme
(DÉCISION DU 23 JANVIER 2025 N°13805/21)
Lors de la cérémonie du mariage, fait-on vraiment attention aux articles du Code civil qui nous sont lus, et en particulier à l’article 215 du Code civil qui commande que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie ».
Sur cette base, et, déjà sur les bancs de nos facultés de droit, on nous explique que le mariage est une institution qui exige des futurs époux une communauté de vie, mais également une communauté de lit…
Cette obligation légale, tirée du code Napoléon de 1804 (loi de 1803 pour être plus exacte), était jusque lors interprétée par la jurisprudence en France comme impliquant pour les conjoints de vivre ensemble ET d’entretenir des relations intimes régulières.
On voit déjà que les contours de cette obligation sont sujets à interprétation, et que les juges et les avocats plongent dans l’intimité des couples et des familles…
Les relations intimes, en tant que telles, ainsi déconnectées de leurs dimensions humaine, psychologique et somme toute relationnelle, étaient donc jusque lors considérées comme une obligation découlant du mariage.
Rappelons que le mariage est un contrat entre deux personnes, dont les obligations sont encadrées et imposées par la loi. Les relations intimes en faisaient partie.
Aussi, jusqu’à aujourd’hui, l’un des époux se trouvait tout à fait en droit de solliciter le divorce pour faute, lorsque l’autre avait manqué à son devoir conjugal, et donc à ses obligations matrimoniales.
Si le devoir conjugal soulève donc des questions intimes liées à la liberté individuelle et au respect mutuel au sein du couple marié, il interroge plus largement sur les fondements de notre droit et de notre société.
La cour européenne des droits de l’homme s’est penchée sur une décision de la cour de cassation du 17 septembre 2020, qui avait rejeté le recours d’une épouse contre une décision de la cour d’appel de Versailles, laquelle avait prononcé le divorce aux torts exclusifs de cette dernière, les justifications qu’elle avait tenté d’invoquer (liées à son état de santé et aux violences de son époux) n’ayant pas été retenues par la plus haute juridiction française, qui s’était retranchée derrière le pouvoir souverain des juges du fond.
Le refus continu de relations intimes avec son mari constituait donc pour l’épouse une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations découlant du mariage, rendant intolérable le maintien de la vie commune, au sens de l’article 242 du Code civil français.
Gageons que les pièces justificatives fournies par l’épouse sur son état de santé et sur les violences qui auraient été exercées par son époux n’ont pas convaincu les juges, et ont été considérées comme insuffisamment probantes.
La sanction judiciaire était donc logique au sens de la Loi et de la Jurisprudence alors applicables. Dura lex sed Lex.
La question n’est cependant pas là.
Que l’on se range du côté de l’époux, en estimant que les relations intimes dans un couple sont essentielles pour sauvegarder un mariage, ou du côté de l’épouse qui a le droit de disposer de son corps comme elle l’entend, on doit surtout interroger l’institution du mariage, et les obligations qui en découlent.
Car finalement, ces relations sont-elles le ciment du couple, le ciment du mariage, ou le ciment de notre société ?
C’est la question qui a été soumise à la cour européenne des droits de l’homme qui vient d’y répondre dans sa très attendue décision du 23 janvier 2025 (numéro 13805/21).
Sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée et familiale), cette haute juridiction européenne rappelle que tout acte sexuel non consenti est constitutif d’une forme de violence sexuelle, et en conclut que l’existence même d’une telle obligation matrimoniale se révèle contraire à la liberté sexuelle et au droit de disposer de son corps, et viole l’obligation positive de prévention qui pèse sur la France en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles.
En conclusion, le devoir conjugal et le divorce en France sont des sujets complexes qui touchent à la fois au droit, à la société et aux individus. Il aura fallu attendre 2025 en France pour voir disparaître le devoir conjugal, jusque- lors considéré comme une obligation légale au sens large.
La législation française permet heureusement dans des situations de blocage d’appréhender le divorce sous un autre angle que celui de la faute, et de la condamnation pécuniaire, et l’enjeu ici se trouve certainement dans la vision du mariage qui devrait être tout sauf coercitive…